[Mission Rang S] La main de Dieu sur ta gorge...

« La foi est une adulation mortifère... je n'aimerais jamais passer ma vie au trône de la mort. La souffrance n'est pas la mort, une passion passagère entre deux pôles parallèles. »

Reikenichi

Sourcillement d'un cerisier dans le bleu de la brume. Le vent frémit. Je frémis avec lui lorsqu'il j’émisse entre les poils blancs de mon torse vif. Il fait froid, contre coup d'hiver en plein printemps. J'ai la tête entre les mains, assis sur le rocher en pied de tronc. Rafale. Bruissement de cape, toujours les mêmes clonent drapés et masque. Genre d'épouvantail faisant fuir les oiseaux. On est des faucheurs de blé, lorsqu'un brin dépasse les autres il faut le décapiter. Loi du conformisme... non... loi sociale, une société ne peut vivre avec ses détracteurs, avec ces hommes, ces femmes et ces enfants qui s'élèvent trop haut. Nous sommes la loi d'Icare.

Je suis de retour sur l'île principale depuis l'aube. Pagode des sens j'ai reçu le fruit de ma récolte et le prochain ordre de fauche. C'est du gros gibier. Un homme du bureau des renseignements doit venir participer. Il doit être plus informé. Chaperon de la Metsuke. Le savoir, la mémoire, l'information là sont le cerveau, l'Uran est son bras, celui qui tend l'arc, qui incarne le bois, la flèche et le fil jusqu'au bout de la course.
Le village a préconisé un comportement face aux pertes de ces dernières semaines. La sortie du village est étroitement surveillée, ordre de mission demandé. Mais les gardes ont souvent trop la trouille pour émettre une quelconque altercation face au corps de l'Uran. Notre masque, c'est notre laissé passé.

J'ai la tête entre les mains. Mon escouade patiente comme un mort. On parle des traqueurs : chasseur, chasse, fugue, fuite, vélocité, rapidité. Entre deux missions nous sommes l'immobilité même, une attente vigilante, docile. Bipolaire, entre deux états. Et j'aime ce moment, il est comme une montée d'adrénaline avant d'imploser en mouvements.
Action.

"Au coin de la rue, une valse entre deux tas de poussière s'engageait. "

Il marchait dans le vent. Sa longue cape grise se secouait au rythme du vent. Sa capuche, ancrée sur son crâne, ne bougeait pas et laissait sortir quelques mèches de cheveux. A son épaule, le signe de la Metsuke.
Autrefois, cette insigne avait un peu de pouvoir. Au jour d'aujourd'hui, aucun ne s'attardait sur l'Arche Grise, pourtant dernier rempart de Kiri contre la corruption. Bien qu'au final, ce ne soit qu'un tas de lambeaux.
Il avançait, seul. Il avait été briefé à son départ. Une grosse cible. Le fameux Osamu Tanaka. Grand Jônin de Kiri, envoyé pour éliminer une des grosses menaces qui planait sur Kiri. On avait retrouvé sa piste. Lui s'en foutait. Shigeru Hideaki n'était pas de ces hommes qui cherchait la gloire, l'amour et la compassion. Non, c'était un je-m'en-foutiste fini. Il recevait des ordres. Accomplissait sa mission. Recevait de l'argent. Recevait des ordres. Accomplissait sa mission. Et recevait de l'argent. Ainsi marchait sa vie, et jamais il n'avait eu besoin de se poser de questions.
Il tourna encore et se faufilait délicatement entre les gens. Sa présence n'avait aucune consistance pour la foule. Il glissait, coulait et se laissait porter par le bain de foule.
Il n'était qu'un poisson dans un fleuve qu'il descendait dans le bon sens du courant.
A la porte, un garde l'interpella.

- Vous avez un ordre de mission ou une autorisation ?

Il abaissa sa capuche en souriant.

- Mon poing dans ta gueule, c'est une assez bonne autorisation ?

Le garde écarquilla ses yeux, fit un pas en arrière et éclata de rire. Un filet de bave coula dans sa barbe, tandis que son énorme ventre débordait de son kimono. Il était dégueulasse.
Mais Shigeru lâcha un rire léger, de convenance.

- Allez, passe, petit con ! Fais pas de bêtises !

Le Samuraï inclina sa tête et avança. Nombreux étaient ses connaissances, peu le connaissait vraiment.
Il fit une pause sur le seuil de la porte, glissa une cigarette et se l'ancra sur ses lèvres. Il concentra son chakra et alluma son tabac d'un geste de la main. Ses pas le menèrent au point de rendez-vous. Tous étaient là, discutant. Impressionnants. Ces mecs de l'Uran ... Ils étaient flippants. Inquiétants. Malsains. Le genre d'hommes à avoir à ses côtés, et pas à ses trousses. Il cracha une bouffée de fumée en posant une main sur son sabre.

- J'aime pas parler devant une foule. Ca me mets mal à l'aise. Y'en a un ici qu'est plus gradé que les autres et avec qui je peux discuter de la mission ?

« Communiquer c'est avant tout une place hiérarchique... »

Reikenichi

Mes gars discutent entre deux murmures. Je leur tourne le dos comme je tourne le dos à tout le village et à ses remparts. Je ne vois pas spécialement plus loin que le bout de mon nez. On s'y habitue à la longue. Une nation aveugle. On nage dans le flou, point.
Un autre gars s'approche à pas de loup. Il n’est pas de l'unité. Et quand il vient à s'exprimer, c'est d'une voix grave et traînante. Pas très énergique comme garçon. Mes coéquipiers n’ont pas l'air inquiéter, il doit être du village, sans doute l'indic qu'on devait nous envoyer. Je tourne toujours le dos à ce genre de bazar, n'y tendant qu'une oreille.

« J'aime pas parler devant une foule. Ça me mets mal à l'aise. Y'en a un ici qu'est plus gradé que les autres et avec qui je peux discuter de la mission ? »

Je lève la patte sans lâcher mon point de vue, vide et bleu. Il semble s'approcher de mon perchoir de pierre. Ouais, c'est moi qui me coltine le rôle de chef d'escouade. Mes gars en sont nullement emmerdés, ils me connaissent de réputation et d’expérience. Et puis manière, l'Uran est réputé pour son mutisme, il faut bien trouver un loquace chez les muets.

« Si trois mecs te mettent mal à l'aise j'ose pas imaginé ce que ça a été à tes classes mon gars. »

Il le trouve marrant, assis là, sur un rocher, comme un corbeau. Il regarde les autres. Finalement, ils sont pas si inquiétants. Si l'on ôte leurs masques et leurs capacité à tuer et à éliminer un homme en un clin d'oeil, évidemment.
Il le tannait, rebondissait sur ces mots en bon enfant, comme si tous deux se connaissaient depuis longtemps. Comme si ils s'étaient connus, dans une autre vie. Ailleurs. Dans un autre monde.
Shigeru s'avança et s'adossa au rocher en crachant sa fumée en petites bouffées. Un dragon. Il aimait cette image. Le dragon.

- Les classes, ça n'as jamais été mon truc. Je préfère la rue. On a beaucoup plus de trucs à apprendre en bas dans la poussière, qu'en haut sur des bancs.

Le vent souffla sur sa cape dans une nouvelle bourrasque, un peu légère, qui frappa sur le rocher. Imperturbable, le Samuraï sortit un dossier de sa poche intérieure et le tendit à son coéquipier en le maintenant entre deux doigts.

- C'est maigre. Un nom, un dossier de compétences. On a qu'une fine piste. Il a été aperçu par un de nos indics, menant une troupe de bandits en tuniques blanches. Il occuperait un place de haut-gradé. Et serait retranché actuellement dans un temple shinto abandonné, sur la côte est.

Il cracha une nouvelle bouffée de fumée, opaque et épaisse, qui s'envola dans un souffle du vent.

- Il faut pas tarder, Traqueur. Il va s'envoler sous peu notre oiseau.

« Une traque c'est avant tout une cage, que l'on ressert encore, inextricablement, oppressé, jusqu'à la fin et que le trophée brûle aux feux de nos yeux. »

Reikenichi

« Ouais moi aussi j'aime bien faire le trottoir, ça permet de faire découvrir des choses, mais mieux vaut aller dans les bas fonds quant on sait ce qu'on veut. »

Je me lève, étire mes bras en une étrange clé musculaire, ma nuque et mon dos, cartilages grippés. L'échine encrée de mon dos est prête à s'envoler, incroyable reptile draconien dans mon désert préhistorique. J'ai un cimetière sur le dos. Ce même cimetière où vont se perdre les éléphants pour mourir, enflammé. Mon masque porté à ma gorge, un totem sur deux têtes. Je passe ma main dans l'argent de mes mèches, les plaquant en arrière.
Je me retourne finalement vers mes acolytes. L'inconnu à de l'allure, une cigarette entre ses lèvres, dragon au coin du brasier. Brun, cheveux batailleurs. Il est emmitouflé dans une cape grisâtre monotone. Ouais, ce gars est monochrome, dans son physique, dans sa voix et même ses yeux ont un ton bien plat. L'attitude mesurée, mais décontractée. Mignon petit je-m'en-foutiste.

Il me cède le dossier de la mission. Maigre, le mot est faible... c'est un enfant famélique des Samanas ce dossier. Osamu Tanaka dite la main droite de Dieu. Une des icônes d'un gang théologicofanatique. Ce mec était connu de nos services, une des rares cibles ayant échappé à nos filets. Et il nous nargue encore aujourd'hui à vivre sur les terres que l'on foule.

« Tanaka... on va pas te laisser deux fois nous filet entre les doigts. »

Il a l'esprit faible ayant inculqué une foi qui le dépasse, le dépasse tant et si bien qu'il s'en est fait duper. Un homme de la cinquantaine en crise existentielle pareille à la foule converti au Gourou Gotama.

« Il ne faut pas tarder, Traqueur. Il va s'envoler sous peu notre oiseau. »
« Les oiseaux... je les laisse libres dans leurs cages. Lui, je lui couperais les ailes. »

Je lève la main en direction de mes deux coéquipiers, ils inclinent la tête, disparaissant en un éclair, coup de poing dans la brume. L'étau se ressert sur le temple, et si ce n'est pas chez les shintos, nous le choperons ailleurs. Je m'approche du gars de l'arche grise, proche, très proche, mes yeux, aussi bleus que la brume d'hiver, à quelques centimètres des siens. Des mèches disparates entre nous. Mes doigts saisissent entre eux le mégot de sa clope, l'expédiant sur le chemin de dalle à l'entrée du village. Je vois le bâton cracher une gerbe continue de fumée, fascinante. Il me regarde étrangement, une pointe de surprise dans son air désabusé. Je m'éloigne un peu, lui glissant à l'oreille quelques mots volages.

« C'est pas bon -ni pour toi-, ni pour une chasse à l'homme. Je te suis Arche Grise. »

Il s'étonna de l'audace du Traqueur. Le faible, le fort, le dominé, le soumis. Ce mec devait faire parti de ceux qui croient que les hommes fonctionnent ainsi. "L'homme est un loup pour l'homme". C'était une bonne chose. Shigeru n'allait pas s'ennuyer avec ce drôle d'oiseau. Il enfouit ses mains dans ses poches, lâcha un sourire sans quitter du regard son nouvel équipier et le bouscula intentionnellement.
Il alla vers la cigarette encore fumante et contempla les volutes s'envoler dans l'air, comme des immatériels fantômes quittant leurs corps bien concrets. Envoûté un instant, il finit par l'écraser lentement. Il décrocha son katana de sa taille, une arme légère et finement ornée, et se l'attacha sur le dos. Il serra les jonctions, vérifia son matériel.

- Allons-y.

Dans un mouvement, il s'envola en direction de l'est.

"Ancré sur son épaule, un Karasu lui murmure à l'oreille."

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