Il est 5 heures.
L'aube se prépare, froide et brumeuse. La rosée caresse déjà les herbes et ses gouttes s'accrochent tout aussi bien à l'atmosphère.
L'humidité m'enveloppe de sa robe grise.
Comme tout les matins, mes pieds se traînent jusqu'au ruisseau. Je suis partie il y a quelque minute. Cette nuit, il n'est pas rentré. Seule,
elle avait enfoncé ses griffes dans le bois d'encadrement de la fenêtre durant des heures. Mais une fois l'obscurité à demi levé, son conditionnement avait repris le dessus. Le regard vide, j'avais pris la longue planche qui reliée les deux seaux et l'avait mise sur mes épaules.
Comme tout les matins, j'allais chercher l'eau.
Mes yeux à demi-clos, je marchais dans l'immense voile des côtes. Ces formes se démultipliées mais tout n'était qu'eau. Prêtresses divine de Kiri, légère et lisse, il fallait s’accommoder de ses humeurs humides.
A quelque kilomètre de la maison de bois, se trouvait un ruisseau. Minuscule, il ruisselait le long d'une roche et venait doucement mourir à ses pieds où il y creusait une tombe aquatique à l'image d'une mare.
Ce matin, j'abandonnais les seaux dans la boue et m’agenouillais près de cette grande flaque pour m'y désaltérer. Quand j'eus fini de boire, mon regard s’arrêta sur deux points brillants à la surface de l'eau.
Je fixai bêtement mes yeux comme si je ne l'ai avais jamais vu auparavant. Ils me semblaient plus sombres. Ils n'appartenaient pas qu'à moi.
Tréfonds du bas
Nul nord, ni sud
L'eau est passage
Parallèle aux milles yeux
Mon reflet ne m'avait pas attendu pour changer. Toutes ces matinées à marcher avait fait de mes mollets et de mes cuisses des appuis forts et massifs. Ces aller et retour dans la boue avec les seaux avaient renforcé mes épaules, mon cou se fondait en elles dans un entrelacement de muscles discrets. Mais malgré les entraînements quotidiens, mes bras étaient resté fins et ils ne laissaient rien deviner de ma force.
J'étais façonnée, brut.
J'avais passé des heures entières les bras tendus dans les airs sans bouger, ni boire. Parfois, il partait et ne rentrait qu'à la nuit tombée, je pouvais alors laisser ma position pour le servir.
Il n'avait jamais dit pourquoi.
Je m'étais toujours laisser souffrir. Endolorie jusqu'à l'âme,
elle comptais les jours les poings serrés.
Chaque matin près du ruisseau me rappelait les entraînements avec lui et ces heures à rester immobile. Je sentais mes muscles se tordre jusqu'à l'os, ils se tétanisaient, le katana de bois entre les mains.
- Plus haut. Soulève-le au-dessus de ta tête, tes bras doivent tendre pour pourfendre.Dans la douleur, je m’exécutais.
Elle m'apportait une rage sans borne.
Elle était en colère, toujours. Je me servais d'
elle pour réussir. Haut, je le rabaisser, fendant l'aire comme une acharnée et ce des centaines fois. La répétition était clé de réussite et d'accoutumance. Si je voulais que ce mouvement m'appartienne il fallait que je me l'approprie par l'effort.
Chaque jour m'avait apporté son lot d'épreuve.
Le regard dans l'eau, mes traits m'étaient témoins des mouvements de sabre répétés et forcenés.
C'était devenu une danse quotidienne. Un pas de deux, aux milles temps : l'arme comme la continuité de mon âme. Je me battais contre les airs. Je tranchais les souffles avec la pointe de ma lame. Solitaire depuis quelque mois, la nature m'offrait mes premiers ennemis. Un arbre se transformer en une cible majestueuse et immobile. Écorché jusque dans l'écorce, shoumen, tsuki et kesa giri avaient été les trois coups mortels de nombreux chênes autour du ruisseau. Sa voix en écho,
« Du haut, ta lame doit fondre vers le bas. Un éclair droit et impitoyable.», je m’exaltais à imposer ma force contre les conifères.
« Droite. La lame tendu comme un fil de fer. Part de ton ventre et fend l'air de ta pointe. », elle aimait particulièrement cette technique parce qu'elle avait l'impression que la lame sortait de son nombril lui-même. La violence sortait de son creux, du plus profond de son être. Sauvage. Net. Et puissant.
« Tu te souviens du shoumen ? Bien. Maintenant, place ton bras légèrement plus sur ta droite. Garde tes épaules hautes. Commence à droite et finis à gauche. ». Je laissais le poids du katana m’entraîner. Une fois le coup porté, la sève coulait. Comme une lune, le sang du végétal ruisselait le long de son échine tortueuse.
Elle leur enviait tant ce genre de tatouage permanent qu'
elle leur infligeait, que le jour où le maître n'était pas rentré pour la première fois,
elle s'était affligée du même tracé. Dans l'ombre de la pièce, seule,
elle avait saisi son kunai et l'avait enfoncé sur son sein a peine formé. Et, dans un geste lent et déterminé,
elle avait dessiné un croissant de lune dans ses chaires.
Quant il était enfin revenu, il était rentré dans une rage folle.
Elle,
elle ricanait doucement, le torse rougi par le sang.
- Techniques apprises :
- Tsuki, Coup d'estoc
- Shoumen, Coupe descendante
- Kesa giri, Coupe de biais